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mercredi 24 mars 2010

Compagnons, une voie royale en France.

Ces ouvriers d'excellence représentent l'élite dans leurs disciplines respectives. Le chemin qui mène à cette distinction tient de l'aventure initiatique.

" Dis-moi, lapin, pourrais-tu donner au prévôt le numéro de portable de ton singe ?"
Ainsi s'exprime-t-on chez les compagnons, ces maîtres de la belle ouvrage, réputés dignes successeurs des bâtisseurs de cathédrales.
Comme bien des coteries, cette caste a conservé, entre autres codes, un jargon compréhensible de ses seuls initiés. Il n'est pourtant pas si difficile de percer les mystères de ce charabia, transmis de maître à élève depuis le Moyen-Age: le lapin désigne un apprenti, et le singe, son supérieur. Tandis que le prévôt fait référence au responsable d'une Maison des Compagnons, là où sont dispensés les formations et où sont hébergés les apprentis.

Un boulot assuré:


Tout ce folklore, qui rappelle celui des francs-maçons, contribue bien-sûr à la fascination qu'exerce le compagnonnage depuis sa naissance, voilà une dizaine de siècles. Mais ne devient pas compagnon qui veut.
Quelle que soit la filière choisie, l'Union Compagnonnique des Devoirs Unis (basée à Arras et Jeumont, près de Maubeuge) ou l' Association Ouvrière des Compagnons du Devoir du Tour de France (sise à Villeneuve d'Ascq), il faut faire preuve d'un certain talent et d'une grande ténacité.

Le jeu en vaut la chandelle car une fois "intronisé", un compagnon a quasi 100%  de chance de décrocher un emploi, la plupart du temps à un poste à responsabilité comme chef d'équipe ou de chantier ... A moins qu'il ne s'installe à son compte, comme à peu près un tiers des compagnons.

Entrer en formation chez les compagnons n'est pas l'étape la plus compliquée. Même sans le moindre diplôme, un adolescent d'une quinzaine d'années peut postuler au titre d'apprenti, afin de démarrer une formation pour un CAP, en alternance avec une entreprise. Il lui faudra au préalable réussir une série de tests en maths et en français, de niveau équivalent au brevet des collèges, et passer deux jours en communauté dans une Maison des Compagnons. Mais pour intégrer définitivement le gratin des maçons, couvreurs, charpentiers, peintres, menuisiers, ébénistes ou encore plombiers, quelques unes des professions admises dans le cercle compagnonnique, il devra ensuite réaliser un tour de France, pour une durée de trois ans au minimum. C'est cette étape, très sélective, puisque 80% des apprentis renoncent en cours de route, qui fait la réputation et la légende des compagnons.

Rites d'initiation: 


Depuis leur origine, ces ouvriers d'excellence se déplacent de ville en ville pour apprendre et transmettre à leur tour leur savoir-faire. Inutile pour eux de chercher un toit puisqu'ils se feront héberger dans une des Maisons des Compagnons disséminées dans à peu près toutes les régions de France.

Quelle aventure ... et quelle expérience !
"Au cours d'un tour, nos élèves sont confrontés à différentes situations de travail et sont toujours amenés à s'adapter, en fonction des moyens des entreprises", explique Olivier Ducarouge, prévôt de la Maison des Compagnons du Devoir de Villeneuve d'Ascq. Ce compagnon de 26 ans, qui a démarré son apprentissage en maçonnerie au sortir d'une première scientifique, vient tout juste de terminer un tour de France de près de 6 ans. Il sait donc de quoi il parle d'autant qu'il a exercé dans une trentaine d'entreprises, de Marseille à Strasbourg en passant par Mayotte...

Guy Vion, entré lui chez les compagnons du tour de France d'Arras et aujourd'hui embauché dans un bureau d'études en charpente près de Cambrai, garde aussi un souvenir impérissable de son tour de France, passant par Grenoble, Clermont-Ferrand, Limoges, Angers et Paris. Pendant ses cinq années de vadrouille, il a partagé son quotidien avec d'autres, dans des Maisons qui l'ont initié aux rites compagnonniques. De simple stagiaire, il a été promu aspirant compagnon en réalisant une maquette d'adoption. "Un pavillon en forme de L avec une lucarne en noue", précise-t-il. Il a choisi alors son nom de compagnon: Cambrésien la Tranquillité. Il a été intronisé compagnon trois ans plus tard, après avoir "taillé la réception", en réalisant cette fois un pavillon à base carrée avec trois raccords différents, représentant près de 600 heures de travail, au prix parfois de nuits blanches. Au cours d'une cérémonie officielle, il a alors reçu une écharpe aux couleurs de sa discipline. Un an plus tard, il a pu demander sa canne, symbole de l' itinérance.

S'engager dans le compagnonnage, c'est aussi choisir un style de vie et un rythme de travail intensifs.
A Villeneuve d'Ascq, les cours dispensés le plus souvent par des compagnons, employés à mi-temps, débutent dès 8 heures pour quatre heures d'enseignement général. Ils reprennent à 13 h 30, dans des matières plus techniques. Chaque soir, les apprentis en formation partagent le repas "en cols" (comprenez en tenue correcte) à 19 heures tapantes, avant de suivre deux ultimes heures de cours. Ces heures de rab permettent à ceux qui les suivent de décrocher des diplômes d'enseignement supérieur de type brevet de maîtrise, BTS, voire licence professionnelle. Pour eux, la journée se termine donc aux alentours de 22 heures... Il est alors grand temps de rejoindre sa chambrée, de trois ou quatre lits: "C'est une autre façon de vivre, confirme Bruno Eyquem, un apprenti ébéniste originaire de Bordeaux. Même s'il est difficile d'avoir un peu d'intimité, j'apprécie cette rigueur." Il sait bien que c'est le prix de payer pour avoir la satisfaction, d'ici quelques années, de maîtriser son art.

(source: "Entreprises et Management" Gaëtane Deljurie)

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